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croq'vies - des aperçus, des visages, des instants
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croq'vies - des aperçus, des visages, des instants
  • Vous trouverez ici des histoires, des anecdotes, de ma vie, de ma campagne, de ma vie étudiante, et puis des histoires inventées, juste pour le plaisir. Et j'espère de tout coeur que ce petit mélange sera sympatique. A tout de suite!
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12 novembre 2008

Et tout mon être tremble

            Tout mon être tremble. Pourtant, c’est toi qui as Parkinson. Encore un trait d’humour noir comme tu les aimes mais que je n’ose lancer à voix haute. C’est fou comme les maisons de retraite grillent toutes mes facultés sarcastiques… Je m’approche de toi, en espérant, que sais-je ? Une sorte de miracle, peut-être ?

            « - Tu es tout seul, mon grand ? C’est gentil d’être venu quand même, va, je suis ben contente.

-         Oui, Grand-mère, je suis tout seul aujourd’hui. Est-ce que ca va ? »

Zut, encore une question  qui m’échappe, par habitude. Je baisse les yeux, piteux. Comment veux-tu qu’elle aille, ta grand-mère ? M’admoneste-je. Tu viens aujourd’hui parce que es parents t’ont prévenu que la semaine prochaine, elle n’y sera plus. Pfiout, envolée la mamie ! Fini les cartes de vœux où l’écriture tremblote, les souvenirs, c’est tout ce qu’il restera et dans ta tête à toi uniquement. Si tu es là, c’est pour lui dire adieu, parce qu’après… Après il sera trop tard !

            - A quoi tu penses, mon garçon ? Tu as l’air tout pensif… T’es pas triste à cause de moé, tout de même ? J’arrive à la toute fin de mon rouleau, alors ca veut dire qu’il faut bien que je casse ma pipe un jour ! Fais pas cette tête d’enterrement : t’auras tout le temps de porter la mine de circonstance quand tu m’mèneras au cimetière ! En attendant, souviens-toi que je respire et tâche de sourire un peu ! »

            Voilà ma grand-mère qui se rebelle ! Qui s’agite et se fâche pour que ma dernière visite garde un simulacre de visite de courtoisie. Nous connaissons tous les deux l’échéance, cela nous pèse et pourtant nous cherchons à nous protéger, faciliter à l’autre sa propre présence. Jusqu’au bout.

« - Parle-moi des enfants, souffles-tu. Ta tirade t’a épuisée. Je me rappelle, quand j’étais tout gosse, tu étais un moulin à paroles à faire bailler le Bon Dieu. Il y a un instant, j’ai eu envie de croire que tu avais encore ton mot à dire sur tout, même sur la mort.

- Ben, les enfants, ca va. Audren est à la fac. Il travaille pas trop mal, il est en licence. Et puis Cathy, elle, ne sait pas vraiment ce qu’elle veut faire alors on se fâche un peu. L’objectif serait qu’il choisisse une branche susceptible de l’intéresser avant janvier, sauf qu’elle s’intéresse plus aux garçons qu’au reste. Alors ce que Papa Maman peuvent lui dire, ca lui passe au dessus des oreilles. Elle est chez des amis pour le week-end et Audren révise, il a des examens bientôt. »

            Je te noie dans le flot de mes paroles. Pourvu que tu ne m’interrompes pas ou je ne saurai plus te mentir encore… Ce n’est pas la peine que tu saches que Audren a préféré rester avec son copain – soit disant pour réviser- au lieu de m’accompagner. Inutile de t’apprendre que Cathy a déclaré sans égard ni pitié, et dans un bel élan d’égoïsme, qu’elle n’irait certainement pas voir la « vioque ».

«          - Et ta femme, ca va ?

- Oui, oui, ca va. Elle bosse beaucoup, en ce moment, un gros projet. Elle y passe beaucoup de temps. Je suis obligé de prendre rendez-vous avec elle, si je veux qu’elle rentre à la maison de temps en temps. »

            Je te souris. Je te mens. Le grand projet qui dévore tout le temps de ma femme est notre divorce. Deux mois déjà qu’elle m’a quitté. Mais de quoi je me plains ? C’est Grand-mère qui va mourir et toi tu es là avec tes problèmes de cœur, de garde, de pensions alimentaires. Je vis, je ne suis pas à plaindre. Mais je vais me taire pour que tu partes en paix. Va pas te faire de souci, Grand-Mère, endors-toi heureuse.

«          - Tu veux quelque chose ?

-         Fumer une bonne pipe ne serait pas de refus. »

Je ne réponds rien et me contente de te tendre mon nécessaire. Je supposais que tu allais te lever pour aller sur le minuscule balcon, sauf que j’oubliais que tu ne peux plus quitter ton lit. Pour rien. Et c’est là, entre les appareils et le bassin sous ton lit, qu’éclate en mon esprit toute la signification de l’expression « lit de mort ». Tu as fini de bourrer ta pipe. Tu l’allumes. Inspires. Expires. Tu savoures chaque bouffée. Tu te régales des ronds de fumée bleutée que tu parviens à grand peine à former. Tu fermes les yeux .Comment réagirais-je si j’étais à ta place ? Tu tousses. Les appareils s’affolent.

Alertée, une infirmière fait irruption dans la chambre et t’arrache des mains et des lèvres la pipe si bien appréciée. Elle se brûle en touchant le fourneau. Elle est furieuse. Indignée et ébahie.

«          - Vous n’avez pas honte, monsieur ? La laisser fumer, dans son état ? Mais vous voulez la tuer, ma parole ! Et vous ?! Madame Caroux, à votre âge et vu votre état de santé, c’est absolument strictement et définitivement défendu !!! Vous êtes déraisonnable ! »

            Elle est animée de l’indignation des justes défenseurs de la santé publique. Celle-ci a décidé de protéger le monde des dangers du tabac, on dirait. Sous son avalanche de reproches, nous échangeons un regard, un de ceux de notre complicité d’autrefois.

«          - J’avoue que je ne saisis pas bien l’importance de mourir en bonne santé… » Glisses-tu en souriant. Estomaquée, l’infirmière en reste coite. Je me retiens de rire durant ton interprétation du vieux dicton qui dit qu’il faut bien mourir de quelque chose. Elle part.

            A nouveau, nous sommes seuls et le silence s’installe. Ce sont des adieux car tu n’oses plus lever vers moi tes yeux tristes.

«          - Mamie, je…

-         Oh mon petiot, viens donc me prendre dans tes bras. »

Je m’exécute, te cachant tant bien que mal mes yeux brillants et mon cœur lourd.

-         Quand j’y serais plus, commences-tu. »

Je n’ai pas envie d’entendre la suite, mais ai-je le droit de te couper si tu veux me dire ces dernières choses qui te tiennent à cœur ? Puisque je t’ai déjà menti, puis-je m’enfoncer plus encore dans la malhonnêteté et prétendre que tu vivras bien encore cent ans ? Juste parce que ce que tu t’apprêtes à me dire me lacère le cœur d’avance ?

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Commentaires
G
La vache, c'est beau et touchant!
C
Touchée!<br /> Beau texte comme tu sais bien les faire. S'étant eu au telephone la semaine derniere, tu comprend en partie pqoi ce texte me touche. Mais aussi par ton écriture, même si ya un ou deux mots que je n'ai pas compris lol<br /> J'aime ces ptites bonnes femmes que tu décris dans plusieurs de tes textes, tjs pleines de vie malgré les épreuves, avec leur ptit ton sarcastique qui va bien.<br /> Dans l'attente d'autres textes, mes salutations! ^^
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